Quand manger ouvre la porte à l’apprentissage…

De pensée sur la nourriture en pensée sur la nourriture…

Le week-end dernier, j’ai cuisiné le dessert favori de Cyrano de Bergerac avec mon fils. En effet, il doit apprendre par cœur la célèbre tirade du nez, et je me suis dit que ce serait sympa de lui faire découvrir la pièce sous un autre angle.

Cela m’a fait penser à ma prof de Lettres de première, que j’adorais (et je n’étais pas la seule!). Elle était du genre à se lever en plein milieu de la nuit, et à en profiter pour créer une activité géniale. Je me souviens qu’un matin, elle avait débarqué avec des gâteaux spécialement cuisinés pour lancer une nouvelle séquence, et on avait adoré.

Cela m’a ramenée à mon regret de ne jamais avoir concrétisé mon projet de faire comme elle, en apportant des tartelettes Amandines à mes élèves pour clore ma séquence sur Cyrano…

Et c’est ainsi que, sautant de pensée en pensée, m’est revenu en mémoire un des souvenirs si marquants de ma carrière de prof que je me demande comment j’avais pu l’oublier.

Je m’en vais te le raconter. (Et, bien sûr, te livrer la recette de la tarte Amandines de Cyrano !).

Quand la mayonnaise ne prend pas…

Tout commence dans une classe de 4ème avec laquelle la mayonnaise avait vraiment du mal à prendre, si tu me pardonnes ce jeu de mots culinaire, dans un article dédié à la gastronomie.

Les détails m’échappent, mais je garde en tête une ambiance et un élève.

Côté ambiance, c’était tendu, entre eux et avec moi.
Non seulement je n’arrivais pas à trouver la porte d’entrée pour remporter leur adhésion et les embarquer à ma suite à l’assaut des connaissances, mais en plus, ils ne s’entendaient même pas très bien entre eux. Tout au plus arrivaient-ils à s’accorder sur le fait qu’ils n’avaient pas envie de travailler, et à afficher l’attitude à l’image de cet état d’esprit.

En ce qui concerne l’élève, il y avait cet ado, petit pour son âge, un peu teigneux et toujours dans la provocation, élevé « comme un Homme ». Il me donnait vraiment du fil à retordre et il embarquait une bonne partie de la classe avec lui. C’était franchement crispant.

Bref, la situation, sans être catastrophique, n’était pas idéale, loin s’en faut. Plus le temps passait, pire c’était : l’ambiance était de plus en plus tendue. Or, personne, je dis bien personne n’y gagne quand on ne parvient pas à mettre en place une atmosphère propice aux apprentissages.

T’es pas cap’!

Et puis un jour, il y a eu ce petit quelque chose qui change tout. J’aimerais bien me remémorer chaque petit détail, mais ce qui me reste est un peu flou. En tout cas, je sais une chose : c’est un goûter qui a sauvé notre année.

Je ne sais plus quand, et pas vraiment comment ni pourquoi, mais je sais que ça a commencé par une énième altercation avec cet élève. Cet ado, petit pour son âge, un peu teigneux et toujours dans la provocation, élevé « comme un Homme », avait très bien compris que le sexisme me faisait sortir de mes gonds, et il s’en donnait bien souvent à cœur joie. Mais ce jour-là, on a parlé cuisine, et il m’a lancé, comme on lance une bravade, qu’il allait apporter une pâtisserie qu’il cuisinerait pour la classe. Il m’a toisée, avec un air de défi.

Et j’ai dit oui.
Au début, je dois bien l’avouer, pour le provoquer, moi aussi. Parce que je ne pensais pas qu’il le ferait. Je le testais autant qu’il me testait moi.

Je ne sais pas qui a perdu le défi, je pense qu’on a tous les deux gagné. Il a apporté ce goûter qu’il avait cuisiné, et ça a sauvé notre année.

Le goûter de la concorde

Le goûter a rencontré un vif succès, c’est vrai, mais je vais un peu vite : le changement n’a pas été aussi immédiat. En réalité, cet élève, cet ado, petit pour son âge et un peu teigneux, élevé « comme un Homme », mais qui pensait tout de même que sa place pouvait être dans une cuisine, à vivre sa passion, a embarqué la classe pour réclamer l’instauration d’un goûter.

Un goûter hebdomadaire.
Systématique.
Réclamé par les élèves.

Tu vois le genre ? Sur le papier, c’est un grand non, pour bien des raisons.

Pourtant, j’ai dit oui.

Nous avons mis en place les termes du contrat : chaque semaine, pour notre dernier cours (qui avait lieu un vendredi après-midi), un binôme d’élèves déterminé par le plan de classe (des voisin.e.s de table, donc), se chargerait d’apporter le goûter à toute la classe, ainsi que le matériel nécessaire. Seule condition : il fallait que ce soit fait maison. Pas de tout prêt, tout acheté : peut-être bien que le Français ne servait à rien dans la vie, mais savoir cuisiner, si !

Alors bien sûr, de prime abord, ce n’est pas ce qu’on appelle travailler : ce n’est pas étudier, c’est une perte de temps, cela n’a absolument rien à voir avec les savoirs académiques que l’on attend, tant des élèves que des enseignant.e.s. Et pourtant…

Le goûter qui nourrit bien plus que l’estomac.

Pourtant, c’est grâce à cela que l’année scolaire s’est finalement bien déroulée. Je n’enjoliverai pas la réalité en te disant qu’à partir de ce moment-là tout a été parfait, mais l’ambiance s’en est enfin trouvée apaisée, et cela a changé bien des choses. A compter de ce moment, les élèves avaient ce « truc » qui les tenait. Non seulement l’apprentissage s’en est trouvé facilité, mais cela a permis de les révéler, vraiment.

Cela a favorisé la cohésion du groupe, bien sûr. Il leur a fallu s’organiser entre eux pour savoir quoi apporter, qui ferait quoi. Je garde un souvenir attendri de grands garçons de quatrième qui me rapportent qu’ils ont demandé de l’aide à leur maman. (C’est ça le plus mignon avec les grands garçons : ils disent toujours « maman » dans ces moments-là.)

Cela a également construit et consolidé leur sentiment d’appartenance, complètement absent dans cette classe, et c’était bien le problème, je crois. Je l’ai nourri d’autant plus que, bien évidemment, la nouvelle a très vite fait le tour de mes autres classes : un goûter chaque semaine chez la mère Michelin ? Mais quelle aubaine ! Sauf que seule cette classe y a eu droit, c’était leur truc à eux, rien qu’à eux, ce qui faisait qu’ils se sentaient spéciaux. Mais je me dois d’être honnête, j’ai quand même essayé, avec les autres, pour voir. Après tout, qui ne rêve pas de voir se multiplier les bienfaits d’une solution qui a fait ses preuves? Cependant, ça n’a pas du tout fonctionné. Ça demandait finalement plus d’efforts que de travailler son Français, cette nécessité de s’organiser, de dialoguer, de faire ensemble, de prendre la responsabilité de nourrir la classe… et puis… il fallait aussi cuisiner! Trop d’efforts, vraiment!

Autant dire que ça a participé, aussi, à changer mon regard sur cette classe de 4ème, peuplée d’élèves finalement bien plus investi.e.s et entreprenant.e.s que je ne le pensais. Et je crois bien qu’ils ne me regardaient plus exactement pareil non plus.

On a bien mangé (vraiment bien!) et alors on a pu travailler.

Moralité(s)

Au début, je voulais te raconter cette histoire pour te répéter, encore et encore, que ce n’est pas perdre du temps que d’en consacrer à favoriser une ambiance dans laquelle chacun.e se sent bien et en sécurité pour apprendre. Au contraire, c’est primordial. Il y a bien des façon de le faire, et parfois on peut en tester de nouvelles, auxquelles on n’aurait jamais pensé.

Et puis finalement, je crois qu’un autre message s’est ajouté au premier.
L’autre jour, une instamie prof m’a envoyé ce message : Je garde vissé à ma mémoire ce que tu m’as dit : « Vas-y, et fais des choses qui te plaisent! ». J’ai eu envie de te le dire à toi aussi : on peut aller au boulot, et s’éclater. On peut enseigner en s’autorisant à suivre nos envies. On peut apprendre, en classe ou à la maison, en faisant différemment, et ce sera aussi bien. Ce sera même mieux, parce qu’on apprend mieux quand on se sent bien (et qu’on a bien mangé, aussi!).

Alors, vas-y, et fais des choses qui te plaisent !

Et EduSens dans tout ça?

La mission d’EduSens, c’est « apaiser les relations des enfants, des familles et des professionnel.le.s avec l’Ecole et les apprentissages, grâce à la coéducation et à (l’in)formation ».

Apaiser les relations avec l’apprentissage, c’est par exemple expliquer comment on apprend. Quelles conditions sont les plus propices, quelles méthodes sont les plus efficaces… Que l’on perd de temps, que l’on use de l’énergie à cause d’une méconnaissances de ces questions! C’est pour cela que je diffuse ce type d’informations, grâce à cet article par exemple, et que j’anime des formations, à destination des particuliers comme des professionnel.le.s. Savoir, c’est pouvoir!

Apaiser les relations avec l’apprentissage, ça passe aussi par des messages d’encouragements, de soutien et d’enthousiasme. Parfois, cela fait du bien que quelqu’un nous rappelle qu’on peut se sentir mieux vis-à-vis de l’Ecole, et qu’il y a d’autres façons de faire que celles qu’on applique « parce que c’est comme ça ». Je prends ce rôle, avec plaisir, et je le rappelle : c’est en se changeant soi que l’on change les choses!


Comme toujours, c’est en musique que cette newsletter a été rédigée!
Cette fois-ci, j’ai été accompagnée par un groupe que j’adore :

Float on, Modest Mouse



Cet article est la newsletter du 23/02/2023. Si tu as aimé et que tu veux recevoir les prochaines newsletters directement dans ta boîte mail, il suffit de t’inscrire ici!

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